Le Bureau du conseiller spécial pour l’Afrique (OSAA) a été fondé en 2003 dans le but d’accroître, par son travail d’analyse et de plaidoyer, le soutien international au développement et à la sécurité en Afrique, et d’assister le Secrétaire général de l’ONU dans l’amélioration de la cohérence et de la coordination de l’aide apportée par les Nations Unies. Mme Bience Gawanas a été nommée Secrétaire générale adjointe et conseillère spéciale pour l’Afrique l’an dernier. Zipporah Musau, l’a interviewée sur son rôle et ses objectifs en 2020.
En tant que conseillère spéciale pour l’Afrique, quel est votre rôle ?
Je me considère comme la voix de l’Afrique au sein de l’ONU. Mon bureau, le bureau du conseiller spécial pour l’Afrique, travaille avec le Secrétaire général sur la cohérence de l’aide au développement de l’ONU en Afrique. Nous soutenons aussi le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), qui est en train de devenir l’Agence de développement de l’Union africaine (AUDA).
Quels sont les trois plus grands défis auxquels fait face l’Afrique ?
Je préfèrerais parler d’opportunités. Je voudrais que l’on parle de l’Afrique d’un point de vue positif. Il est vrai toutefois que des défis persistent du fait des conflits, des maladies, de la pauvreté et de la faim. C’est pourquoi nous devons mettre en œuvre les Objectifs de développement durable (ODD) et l’Agenda 2063 (la feuille de route du plan de transformation de l’Afrique de l’UA).
Quelles seront les trois principales opportunités pour le continent en 2020 ?
Plusieurs opportunités peuvent permettre à l’Afrique de prendre un nouveau chemin. La première, selon moi, est la Zone de Libre-Echange Continentale africaine (ZLECAf) entrée en vigueur il y a quelques mois. L’Afrique peut être l’un des plus grands marchés au monde. Mais nous devons pratiquer le commerce entre nous, Africains.
La deuxième opportunité est de « Faire taire les armes en Afrique », l’une des principales initiatives qui figurent sur l’Agenda 2063. En 2020, l’UA a choisi pour thème « Faire taire les armes » et une nouvelle campagne va être mise en place.
Une autre opportunité est liée au changement climatique. C’est la première fois qu’autant de gens s’y intéressent et en parlent. Le Sommet Action Climat de l’ONU, organisé par le Secrétaire général en septembre dernier, a permis à de nombreux pays d’adhérer à l’agenda climatique. A travers le continent, les jeunes déclarent
« l’avenir nous appartient ».
Comme vous l’avez dit, une campagne appelant à la fin des conflits en Afrique est lancée en janvier 2020 et c’est aussi le thème de l’UA cette année. De quoi s’agit-il et quel rôle l’ONU y tient-elle ?Ìý Ìý
Le but est double : d’abord un abandon réel des armes puis un engagement vis à vis du développement, un investissement humain. Nous revenons de loin et nous avons réussi à faire taire les armes dans de nombreux pays du continent, mais il y a encore des zones de tensions fortes. Mais nous pouvons réussir. Les jeunes et les femmes ne sont pas seulement des agents des conflits ou leurs victimes, mais ils peuvent aussi contribuer au changement. On a beaucoup parlé des enfants soldats, de ces jeunes qui prennent les armes. Mais l’on peut voir les choses autrement - la jeunesse veut aussi contribuer à la paix et doit être impliquée dans les processus de paix sur le continent.
La campagne pose la question suivante : « Que devons-nous faire de plus pour faire taire définitivement les armes en Afrique ? » L’UA va mettre en place différentes activités pour y parvenir plus rapidement. A l’ONU, le Secrétaire général a mis en place une équipe spéciale, à laquelle participe l’OSAA, sous la direction de la Secrétaire générale adjointe pour l’Afrique, Bintou Keita, afin de prêter main forte à l’UA.Ìý Ìý Ìý
Il y a quelques mois la Zone de Libre-Echange Continentale africaine est entrée en vigueur. Quel est son but ?
Supprimer les barrières douanières sur les produits africains. Ainsi les biens et les services pourront mieux circuler d’un pays à l’autre et nos capacités commerciales seront renforcées. Cette zone de libre-échange permettra la création d’industries manufacturières à forte valeur ajoutée, et plus d’économies d’échelle car l’Afrique est un immense marché. Des emplois seront créés. C’est aussi une opportunité pour les PME et pour les femmes entrepreneures, pas seulement pour les grandes structures. C’est la meilleure chose qui puisse arriver au continent.Ìý ÌýÌý
En tant que conseillère spéciale pour l’Afrique, quelles sont vos trois priorités ?
J’ai été nommée il y a un an lorsque l’ONU procédait à d’importantes réformes dans les domaines de la paix et de la sécurité, du développement et du management. L’UA procédait en même temps à des réformes institutionnelles. Nous avons dû nous repositionner. Ma priorité est de garantir que le bureau continue d’être pertinent, efficace, compétent dans son rôle et son mandat. Je suis la première femme à occuper ce poste, je me considère comme une pionnière, et je veux que les préoccupations des femmes et des jeunes comptent parmi mes priorités.
Quels programmes allez-vous mettre en avant en 2020 ?
Nous suivons principalement ce que l’Afrique considère comme prioritaire, la synergie entre deux agendas -
l’Agenda 2063 de l’UA et l’Agenda 2030 pour le développement durable. L’UA et l’ONU ont signé deux accords-cadres : un partenariat pour la paix et la sécurité, et un partenariat pour la mise en œuvre des deux agendas. Ce sont des priorités pour nous.
Nous allons aussi faire connaître ce que l’UA et les Etats membres font, ce pourquoi l’Africa Dialogue Series (les séries de dialogues sur l’Afrique) restent très importants pour nous. Cette année, le thème de l’UA était « Pour des solutions durables au déplacement forcé en Afrique » et en l’abordant lors des « séries », nous en avons fait un sujet d’intérêt, source de plusieurs discussions à l’ONU, et notamment au Conseil de sécurité. Nous espérons avoir le même impact pour le thème de 2020, « Faire taire les armes ».
Comment vivez-vous le fait d’être une femme africaine à ce niveau de responsabilités ?
J’ai beaucoup de chance. Quand j’étais jeune, j’ai été à l’avant-garde de la lutte pour l’indépendance de la Namibie. Si les femmes peuvent se battre pour l’indépendance, elles peuvent aussi avoir des responsabilités ! Je ne me pose pas de questions à ce sujet car j’ai souvent été la première femme dans les nombreux postes que j’ai occupés pour servir mon pays. J’ai été ensuite l’une des premières femmes à siéger au sein de la Commission de l’UA. Aujourd’hui je travaille au niveau international, c’est un privilège.
Y a-t-il des déceptions ?
Les difficultés auxquelles font face les femmes lorsqu’elles entrent dans des structures dominées par les hommes sont partout les mêmes. Nous devons réécrire les choses et les présenter d’une façon qui prenne en compte qui nous sommes en tant que femmes. Le fait que les femmes occupent des postes à responsabilités n’en fait pas des hommes. Je me sers de mes qualités et de mes opinions de femme dans mon travail. Il faut que nous soyons toujours objectives. Je dis toujours aux femmes : quand vous gravissez les échelons, ne supprimez pas l’échelle, accrochez-vous afin que d’autres femmes puissent parvenir au même niveau.
Quel rôle les femmes africaines peuvent-elles jouer sur le continent ?
La question est plutôt quel rôle jouent déjà les femmes et quel rôle elles ont joué. Nous n’en serions pas là sans la contribution des femmes, c’est certain. Que veulent les femmes pour l’Afrique ?
Nous voulons un monde qui considère chacun comme un être humain à part entière. Je crois qu’en posant les bonnes questions et en apportant notre contribution dans nos champs respectifs, nous bâtissons une société nouvelle. La résilience et la force des Africaines feront la différence.Ìý Ìý
L’Afrique est le continent le plus jeune au monde, plus de 70% de sa population ayant moins de 35 ans. Quels conseils donnez-vous au Secrétaire général concernant les jeunes ?
Le premier conseil est d’écouter ce que les jeunes ont à dire. Que veulent-ils, quels sont leurs espoirs et leurs aspirations pour le continent ? Il faut dialoguer avec eux et créer des occasions de les impliquer. L’un d’eux nous a dit une fois : « Si vous voulez aller plus vite, adressez-vous aux jeunes car nous courons vite ». Il est aussi important de parler de la paix et de la sécurité dans le cadre du développement et de la prospérité. Les jeunes nous interpellent : « Investissez en nous, en nos espoirs et aspiration, en nos innovations et nos potentiels. Ne nous voyez pas comme les leaders de demain, mais ceux d’aujourd’hui. » Il faut des emplois car une jeunesse malheureuse, sans espoirs, ne nous aidera pas à faire taire les armes.Ìý ÌýÌý
Quelles ont été les trois meilleures nouvelles pour l’Afrique en 2019 ?
Evidemment, l’accord de paix entre l’Erythrée et l’Ethiopie, pour lequel le premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a reçu le Prix Nobel de la paix cette année. Egalement les négociations de paix en République centrafricaine, au Soudan du sud et au Soudan. Le Prix Nobel a vraiment été un vote de confiance dans la capacité de l’Afrique à résoudre ses propres conflits. Mais je note aussi notre excellence dans le sport et la culture - les Springboks d’Afrique du Sud ont remporté la Coupe du monde et Eliud Kipchoge a réussi à courir le marathon en moins de deux heures. Voilà les bonnes nouvelles que j’ai envie de partager.
Qu’espérez-vous en 2020 ?
Que certains des programmes et plans que nous avons mis en place aboutissent. Repositionner l’OSAA, travailler en étroite collaboration avec les États membres, avoir un impact. Continuer de défendre les objectifs de développement, de paix et de sécurité pour l’Afrique. J’attends beaucoup de la série de dialogues pour l’Afrique en mai 2020. Je suis une optimiste. Ìý Ìý Ìý